Perspectives éducatives dans le sermon de Miskawayh
Kabbadj hammad
Ahmad ibn Muhammad Miskawayh, érudit et philosophe persan, est né à al-Reye en 320 Hijri correspondant au 932 de l’ère chrétienne. Il a vécu à Isfahane et y est décédé.
Il a étudié dans ses débuts la chimie, la littérature, la poésie puis l’histoire, la philosophie, la logique et la médecine. Il a eu une si grande réputation en médecine qu’il fut nommé « Le deuxième Hippocrate ».
Ensuite, il s’est consacré à ce qu’il a lui-même appelé : « La médecine spirituelle » qu’il considère comme étant plus importante que la médecine corporelle car il s’agit de purifier l’esprit et de l’élever au rang des anges.
De là, sont intérêt a été dominé par la spécialisation de la philosophie morale, tel que Al-Kindi par les sciences naturelles et mathématiques ainsi que El Farabi, par la logique et la théologie et Abou Soulaymane Al Mantiki par l’actualité des philosophes …
Son statut scientifique:
Ses biographes le surnomment : Le sage, le philosophe, le moral, l’historien, L’homme de lettres, le poète, l’imam des philosophes moralistes et le professeur de la philosophie morale ; car il en a remis en place ses pièces dispersées,a aligné ses piliers et les a examinés et étudiés d’une manière que nul philosophe de l’éthique n’a surpassée, raison pour laquelle, il a mérité ces surnoms : « Le troisième professeur » et « L’Aristote des arabes ».
Il est donc le pionnier de la philosophie morale dans la civilisation islamique et le premier philosophe musulman à traiter la question de l’éthique d’un spécialisme exemplaire et d’une classification et catégorisation innovatrices et dont le livre le plus important dans ce domaine est: «le raffinement du caractère » (Tahdhîb al-Akhlâq) ainsi que d’autres œuvres telle que « Le Petit Livre du Succès» (Kitâb al-fawz al-aṣghar) en psychologie.
Sa mort:
Miskawayh est décédé à Ispahan le 09 Safar 421 H, correspondant au 16 février 1030ap. J.-C.
Le sermon de Miskawayh :
Il est parmi les plus précieux trésors de la bibliothèque arabe des œuvres d’éducation. Il a été rapporté dans le Dictionnaire des Lettrés par Yaqout al-Hamawi (décédé: 626 H);En voici le texte intégral :
Au nom de Dieu le tout Miséricordieux le très Miséricordieux
C’est le pacte qu’untel fils d’un tel a conclu avec Allah, tout en étantce jour-là, en sécurité parmi les siens, saint dans son corps, ayant les victuailles de sa journée. N’étant contraint à faire ce pacte ni par nécessité du corps ou de l’âme, ni par vantardise, ni pour apport d’un bénéfice, ni pour repoussement d’un mal. Sur ce, il s’engage devant Dieu à lutter contre les tentations de son âmeet surveiller ses actes autant qu’il peut afin d’être chaste, courageux et sage.
Le signe de sa chasteté: être parcimonieux envers ses désirs corporels pour que la voracité ne l’emmène pas à porter atteinte àson corps et ne diffame pas aussi sa magnanimité.
Et le signe de son courage: lutter contre les vils appels de son âme, afin qu’il ne soit vaincu ni par des désirs abjects ni par une colère déplacée et inopportune.
Le signe de sa sagesse: méditer ses croyances et user de toute son énergie pour ne manquer aucune des sciences et des connaissances utiles ; afin d’améliorer son âme, la raffiner et atteindre le fruit souhaité de cette lutte qui est la justice.Et enfin s’en tenir à cet aide-mémoire axé sur 15 points et œuvrer pour bien pratiquer ses obligations, à savoir :
1 – Préférer le bien au mal dans les actes, ce qui est juste à ce qui est faux dans les croyances et la vérité au mensonge dans les paroles.
2 – Evoquer le bonheur et croire que son obtention est permanente.
3 – Se préparer à la lutte continue pour une guerre perpétuelle déclarée entre l’humain et son âme.
4 –Le respect de la loi islamique et l’exigence de ses préceptes.
5 – Respecter ses rendez-vous, prioritairement ceux concernant nos relations avec Allah le Tout-Puissant.
6 –Ne pas se fier aux gens en évitant la verbosité.
7 – L’amour de ce qui est beau, exclusivement pour sa beauté.
8 –Le Silence lorsque l’âme est incitée à la parole pour lui laisser l’opportunité de consulter d’abord le raisonnement du cerveau.
9 –Préserver l’état qui se produit, relativement à un événement, jusqu’à ce qu’il devienne une aptitude acquise et ne pas l’altérer par l’outrance de la parole.
10 –Avoir le courage de faire ce qui est juste.
11 – Ne pas dévaloriser le temps en le gaspillant, car il constitue notre vie,et en faire bon usage.
12 – Ne craindre ni la mort ni la pauvreté en faisant ce qu’il faut, renoncer à l’abject et ignorer les médisances des gens pervers et envieux, afin de ne pas se préoccuper par leur combat et ne pas réagir négativement à ce qu’ils avancent.
13 – Savoir accepter de bon cœur la richesse et la pauvreté, la dignité et l’humiliation.
14 –Evoquer la maladie lorsqu’on est en bonne santé, l’angoisse aux moments de plaisir, la satisfaction pendant la colèrepour réduire la tyrannie et l’injustice, la force de l’espoir et la beauté de l’espérance.
15 –Faire confiance à Dieu Tout-Puissant et diriger toute notre esprit à Lui seul.
Si Dieu l’aide à se réformer lui-même, il sera temps donc qu’il se consacre à la réforme d’autrui. Le signe de ce partage étant de ne pas accaparer ses conseils pour soi-même, de ne priver personne du rang qu’il mérite etde ne pas s’emparer de ce dont il peut se dispenser, outrant ainsi les bonnes gens. Si Dieu lui garantit d’accomplir cela, élimine de son chemin les obstacles et les empêchements et le guide pour atteindre les vertus qu’il espérait, pour le rendre l’un de ses fidèles serviteurs et adeptes qui n’auront aucune crainte ni inquiétude ;Si tout cela se produit, Dieu aurait donc, par sa grâce, exaucé toutes ses prières ; puis de son côté, il placera sa confiance en Lui dans tout ce qu’il avait délégué à sa générosité, et qui consiste à : lui donner ce quilui est inapproprié de désirer et le protéger de ce qui est inadéquatd’en invoquer la protection. Car Allah lui suffit et àLui il s’en remet ainsi qu’il n’y a de puissance qu’en Allah.
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Ce texte éducatif mérite un effort intellectuel pour se plongerdans ses profondeurs afin d’en extraire ses chers et précieux trésors. En attendant le moment opportun pour le faire, on en extrait quelques signaux et on met en évidence certaines de sesdéclarations :
1- La première observation qui vous capte dans ce testament : c’est que Miskawayh l’a formulé avec son esprit de foi, son sens de la philosophie et son style arabe immaculé et pur, de sorte qu’il puisse servir de constitution à suivre par ceux qui sont au seuil de la philosophie morale, avant de s’y approfondir.
2- Le premierdes chapitres du memode Miskawayh appelle à la réforme du cœur en tant que moteur ;qu’elle soit axée sur la croyance correcte basée sur les preuves décrétées par les prophètes (que la paix soit sur eux) et dont les explications sont éclaircies dans les sciences de la croyance Islamique(al-‘aqîda).Et ensuite, il appelle la réforme du comportement en tant que traducteur de ce qui est enraciné dans le cœur ; si ce dernier se réconcilie bien avec la croyance correcte, celle-ci doit être traduite en comportement qui préfère le bien au le mal;L’auteur a expliqué dans son livre « Le raffinement du charactère » que :- « Le Bien » : c’est ce que dont profite l’humain, résultant de sa propre volonté et acharnement dans des actions qui constituent l’objectif de sa création ;- « Le mal »: c’est tout ce qui l’entrave du « Bien », résultant de sa volonté, sa paresse ou son abandon.Puis il a dit que :« Nous devons être soucieux de faire les bonnes actions, qui traduisent notre perfection et pour lesquelles nous avons été créé et que nous nous efforçons d’atteindre, tout en évitant les mauvaises actions qui nous en entravent et réduisent nos chances à accéder au bien.Par exemple : si le cheval manque de perfection et n’exécute pas les actions qui le caractérisent avec la bonne manière, il en sera réduit au rang de bêtes de trait tel un âne. Tel est le sort de l’épée et des autres outils : lorsqu’ils perdent de leur capacité à exécuter les actions qui leurs sont caractéristiques, et qui constituent leurs principales utilités, ils se trouveront dégradés de leurs propres rôles et seront ainsi réduits à de plus basses utilisations.De même pour l’homme,si ses actions ne reflètent pas sa raison d’existence, si ses actions qui émanent de lui et de sa vision sont insuffisantes, il serait plus approprié qu’il soit dégradé du niveau d’humanité.Si les actes qui émanent de lui sont contre la raison pour laquelle il a été préparé, ça veut dire les malfaisances qui sont édictés par une méditation inachevée et déviée de sa voie normale au profit des « concupiscences » propres à l’animal,s’ils émanent du fait d’être “fier de ce qui est sensoriel” ce qui le détourne de ce qui lui a été offert : comme la purification de son âme qui lui permet d’atteindre le règne suprême et le vrai bonheur, et lui permet d’arriver à la réjouissance des yeux comme Dieu le Tout-Puissant a dit : « Aucun être ne sait ce qu’on a réservé pour eux comme réjouissance pour les yeux, en récompense de ce qu’ils ouvraient! ».Cette purification grâce à laquelle il pourrait parvenir au Seigneur des mondes dans une béatitude constante et des plaisirs que nul n’a jamais vu, entendu ou imaginé et pourtant, il se laisse tromper de ses offrandes éternelles et honorables par des quelconques médiocrités instables. Si ses actes reflètent cela, c’est qu’il mérite la malédiction de son Créateur Tout-Puissant et aussi l’empressement de sa pénitence pour que son mal n’atteint pas autrui.Ensuite, il est primordial d’affiner la langue en tant que porte-parole de ce qui est fixé dans le cœur et traduit par le comportement des membres afin que le produit de chacune de ces trois dimensions soit compatible avec l’autre.L’origine du sens du mensonge est ainsi une contradiction entre l’attitude comportementale et l’expression de la langue.
D’après Chaddad Ibn al-Haad, un Bédoin a cru en le prophète (ﷺ) et a poursuivi ses préceptes.Après une bataille où les Musulmans avaient gagné des butins, le Prophète l’a divisé et a donné la part du Bédouin à un de ses compagnons pour la lui remettre.Quand le bédoin est venu, le compagnon lui a donné sa part et le Bédouin lui demanda : « C’est quoi? » Il a répondu: « C’est la part du butin que le Prophète nous a donné pour toi ». Le Bédouin a pris le butin et est allé par la suite chez le Prophète et lui a dit : « Ce n’est pas pour cela que je vous ai suivi; plutôt, je vous ai suivi afin de pouvoir recevoir une flèche droit ici (et, il a montré sa gorge), puis mourir et entrer au Paradis. »Le prophète (ﷺ) a dit : « Si tu es sincère, Allah exaucera ton souhait »Après quelques temps, lorsque la lutte reprit et que le corps du Bédouin fut rapporté au Prophète avec une flèche dans sa gorge, à l’endroit même qu’il avait montré au Prophète. Le prophète (ﷺ) a demandé aux compagnons : « Est-ce-que c’est lui-même ? »Ils ont répondu : « oui ». Il a dit (ﷺ) : « Il était sincère ainsi Allah lui a accordé son vœu » (Rapporté par An-Nassaï).
3 –La référence la plus importante dans les deuxième et troisième chapitres est probablement : l’avertissement que le bonheur est un mouvement continu de lutte, depersistance dans les bonnes actions et d’éloignement du mal. Le bonheur n’est donc pas un rang qu’on atteindre et qu’on y reste…
4 – Dans le quatrième chapitre, l’auteur insiste sur la nécessité d’adhérer à la Charia Islamique dans le processus de la purification de l’âme et du raffinement de comportements par les vertus nobles. Ce but ne peut être atteint uniquement par des pensées soufies et des contemplations philosophiques,sans les avoirpassé en revue sous la lumière des vérités de la Charia Islamique et de ses recommandations en premier lieu.Ceci, car quelque soit la pureté de l’âme humaine et le degré de son intelligence, il y a toujours un besoin essentiel de se référer à la révélation du Créateur l’Omniscient et le parfaitement Connaisseur : « Ne connaît-il pas ce qu’il a créé alors que c’est lui le Compatissant, le Parfaitement Connaisseur. » [Sourate Al-Moulk : 14] Dans ce chapitre, il a souligné que la plus importante caractéristique de l’adhésion à la Charia est l’obligation de suivre ses fonctions.
5-C’est ce qui a fait que le titre de la cinquième section soit : « Respecter ses rendez-vous, prioritairement ceux concernant nos relations avec Allah le Tout-Puissant » : ce qui renvoie au temps des prières, du jeûne, de la Zakat, etc.
6-Le sixième chapitre donne conseil d’adopter le comportement de la réduction de la confiance en autrui ; il n’appelle pas à l’anéantissement pur et simple de la confiance aux gens mais il guide vers un comportement qui consiste à en user modérément, tout en expliquant que c’est dans le but d’éviter le verbiage inutile. C’est-à-dire que plus on minimise nos fréquentations et nos interactions, amoindri sera la probabilité de faire mal ou d’y être exposé.
7- Le septième chapitre enseigne que l’homme doit raffiner son goût, de manière à pouvoir distinguer la valeur de la beauté et d’aimer celle-ci en tant que telle, même si elle n’a ni intérêt particulier, ni intérêt personnel. Il nous suffit comme preuve pour mettre en évidence ce sujet, les paroles de notre prophète (ﷺ) qui a dit : « Allah est beau et aime la beauté ».
8 – Quant aux titres des huitième et neuvième chapitres, ils portent sur : la préservation de l’attitudeet du mouvement de la langue enpratiquent la méditation,évitant de s’exprimer hâtivement et prenant son temps avant d’adopter une attitude ou une position.
9- Si la circonspection est de la sagesse requise, elle ne devrait pas dépasser sa limite, au risque que ça devienne une hésitation mal-placée. Pour éclaircir cela, l’auteur nous guide dans le dixième chapitre à « avoir le courage de faire ce qui est juste».
10- Dans les chapitres 11, 12, 13 et 14, l’auteur nous conseille de ne pas gaspiller le temps, d’en faire bon usage et d’éviter de ce qui devrait être abandonné, c’est-à-dire la crainte de la mort et de la pauvreté, le déshonneur,la préoccupation parles médisances des gens pervers, l’envie et la réaction négative sous l’influence de leurs attitudes.
Comme il nous conseille de protéger l’âme de la tyrannie en évoquant : la maladie en temps de santé, l’angoisse en temps de plaisir, la satisfaction en temps de colère, la force de l’espoir et la bonne espérance.
Quant au treizième chapitre où il dit : « Savoir accepter de bon cœur la richesse et la pauvreté, la dignité et l’humiliation. », cela veut dire qu’en cas d’épreuves quelles qu’elles soient, bonnes ou mauvaises, il faut adopter un état qu’Allah veut nous y voir, en paroles comme en actes.
Allah le Tout-Puissant dit dans ce contexte : « Quant à l’homme, lorsque son Seigneur l’éprouve en l’honorant et en le comblant de bienfaits, il dit: « Mon Seigneur m’a honoré. » Mais par contre, quand Il l’éprouve en lui restreignant sa subsistance, il dit: « Mon Seigneur m’a avili. » Mais non ! » [Sourate Al Fajr : 15-17]
Le Tout-Puissant dit encore : « Nous vous éprouverons par le mal et par le bien [à titre] d’épreuve. Et c’est à Nous que vous serez ramenés. » [Sourate Al-Anbyae : 35]
11- Et enfin, il a conclu les quinze chapitres par ce qui peut être considéré comme la couronne de la bonne conduite et le pilier de la bonne morale : ” Faire confiance à Dieu tout puissant et diriger tout notre esprit à lui seul.
Traduit par : Abderrahim SABIRI.
A Nouaceur, le 15 aout 2019